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C’est jour de marché aujourd’hui à Montmerrand.
Paul, perdu au milieu d’une foule de jambes maigres, grosses, rouges, jaunes, bleues, pressées ou juste arrêtées un court instant près d’un étal, cherche sa maman. Paul tient dans sa main le sachet qu’il a trouvé, abandonné par terre au milieu des piétinements, comme lui. Dans le sachet, des fruits, des légumes, et aussi un gant.
Ce gant, Paul le connaît par cœur. Les quatre doigts élancés de la couleur d’une prune bien mûre, et le pouce, avec ce petit trou en forme de cœur qui, dans son souvenir, à toujours été imprimé dans le tissu soyeux. Ce gant, il a redonné espoir à Paul, car c’est le gant de sa maman. C’est ce pouce que Paul serrait très fort dans sa menotte charnue, ce tissu qu’il caressait tendrement … avant de perdre de vue sa maman, son seul repère, sa bouée de sauvetage dans cette mer agitée qui le bouscule de tous côtés.
Maintenant, Paul cherche sa maman.
Il tente quelques pas, trébuche, se rattrape au manteau long d’un grand monsieur très mince, se sent emporté par la marée humaine qui se dirige au mieux vers les étals du marché en pagaille. Paul tombe, Paul pleure, mais personne ne voit Paul.
A quatre pattes par terre, comme un gros bébé, lui aurait dit son grand frère pour le taquiner, Paul ne sait plus où aller. Il avance à droite, à gauche, rebrousse chemin pour éviter les talons d’une dame élégante, fait obstacle à un lourd homme d’affaire et, enfin, finit à l’air libre.
Paul s’assoit. Il sait qu’ici, il est en sécurité. Il sait que la foule ne s’aventure jamais ici. Ici, c’est l’étal du grand Paolo, qui vend tout ce qu’il peut trouver comme babioles dans la vieille et sombre demeure qu’il à reçu en héritage de son grand oncle Roger, et qu’il ne peut même pas habiter parce qu’il n’a pas de sous pour la réparer. Paul lève les yeux, et croise un instant le regard de Paolo.
Paul n’a pas peur, il sait qu’il ne risque pas d’être vu, personne ne le voit jamais, lui, il est trop insignifiant.
Mais le grand Paolo, il est pas comme les autres. Le grand Paolo, il sait ce que ça fait d’être ignoré de tout le monde. Le grand Paolo, il voit tout le monde, ceux qui le regardent avec dégout, avec pitié, ceux qui lui lancent une pièce pour apaiser leur bonne conscience, ceux qui l’évitent aussi, et ceux qui ont besoin d’aide. Comme Paul. Alors, le grand Paolo, il prend le petit Paul dans ses bras et lui dit :
- Salut toi !
- Bonjour Monsieur.
- Monsieur ? Haha mais Paul, j’ai l’âge de ton frère, pas de ton grand père !
- Tu connais mon nom ?
- Bien sur que je connais ton nom, je te vois tous les mardis ici. Les autres n’osent pas me regarder mais toi et ta maman, vous passez souvent m’acheter quelque chose, et tu me souris toujours en te cachant timidement derrière l’étal quand je te tends le sachet.
- Oui, mais les autres marchands, eux, ils ne savent même pas que j’existe. Maman dit que je suis trop petit pour qu’ils fassent attention à moi, et qu’il faut attendre que ma tirelire soit plus remplie si je veux les intéresser …
- Haha, elle a raison, ta maman, ils ne s’intéressent qu’à ton argent.
- Mais moi, j’ai pas d’argent …
- Mais ce n’est pas grave Paul, ta maman t’en donnera quand tu en auras besoin.
- Oui, mais … je l’ai perdue …
- Tu as perdu l’argent qu’elle t’a donné ?
- Mais non, j’ai perdu … ma maman …
- Oh ! Mais ce n’est pas grave Paul, ne pleure pas. Tu sais, on va la retrouver, ta maman.
- Je l’ai cherché … mais je suis trop petit, elle ne me voit pas.
- Mais moi je suis grand, Paul, et je vais t’aider ! Regarde je vais monter sur cette chaise – toi, tu surveilles mon étal – je pourrais voir tout le marché d’ici.
- Alors, tu la vois ? Lança le petit Paul, les yeux levés vers le grand Paolo.
Le grand Paolo, il est tellement grand qu’il peut voir tout le monde, du haut de sa chaise. Alors, il prend le petit Paul dans ses bras et le pose délicatement sur ses hautes épaules.
- Ooh !
- Ouvres grand les yeux, mon petit. Tu la vois, ta maman ?
Pour une fois, Paul ne voyait plus les jambes maigres, grosses ou de n’importe qu’elle couleur. Maintenant, Paul voyait des chapeaux, des parapluies, des cheveux blonds, bruns, roux.
Et, juste à côté de lui, la capuche rouge de sa maman.
- Maman !
- Oh ! Mon Paul, tu es là ! J’ai eu si peur !
Alors, le grand Paolo, il dépose le petit Paul par terre, à côté des jambes de sa maman. Et le petit Paul, il ne voit plus que les jambes du grand Paolo.
Le petit Paul, il a compris que le grand Paolo, il était comme lui.
Personne ne le voit, parce qu’il est trop grand ou trop maigre, parce qu’il est trop pauvre ou trop sale, parce qu’il est trop gentil ou trop timide. Parce qu’il est différent.
Et pourtant, c’est le grand Paolo qui a aidé Paul. Alors ?
Paul sait maintenant que ce n’est pas parce qu’on est différent qu’on est moins gentil, moins drôle, moins digne d’attention. Paul sait que les gens qui n’osent pas regarder les différences ou qui les regardent mal, eux, sont indifférents à tout et qu’ils ne savent pas s’entraider. Qu’ils sont égoïstes de vouloir garder leur monde uniquement pour des gens comme eux, des gens bien comme il faut.
Mais Paul, lui, il n’aime pas les gens trop parfait, trop pareils, trop égaux.
Paul, lui, il aime Paolo, parce que Paolo est différent.
Parce que nous sommes tous différents.
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