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 Nouvelle - Rosa

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Lully

Lully


Féminin Nombre de messages : 332
Age : 42
Passion : Littérature, Ecriture, Musique, Cinéma, Les Êtres Vivants...
Coup De Coeur Livresques : L'ombre du vent, de Carlos Ruis Zafon, Une adoration, L'empreinte de l'ange, de Nancy Huston, Oceano Mare, Soie, d'Alessandro Baricco, Les liaisons dangereuses, de Laclos, Les chants de Maldoror, de Lautréamont, Les Fleurs du mal , de Baudelaire, Nadja, d'André Breton, et tant d'autres ;)
Préférences Littéraires : Onirisme, Surréalisme, Fantasy, Prose...
Date d'inscription : 08/05/2009

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MessageSujet: Nouvelle - Rosa   Nouvelle - Rosa Icon_minitimeDim 17 Mai - 23:34

Je vous présente ici un peu de moi, ma dernière nouvelle en date.
N'hésitez pas à venir donner votre avis, c'est toujours précieux et enrichissant d'y être confronté. Critiques bienvenues, si constructives, les bonnes comme les mauvaises. A vos commentaires! Merci ! Smile


[A lire avec ... Anouar Brahem - Le pas du Chat Noir - Leila au Pays du Carroussel.]



Rosa



« Il ne reste que quelques minutes à ma vie

Tout au plus quelques heures

je sens que je faiblis

Mon frère est mort hier au milieu du désert

Je suis maintenant le dernier humain de la terre ».


(Les Cowboys Fringants)




Mon frère...

Il fut en ce monde, l'unique personne qui lui donnait un sens, à mes yeux. Peut-être...
Avant Elle.

Depuis mon plus jeune âge, il n'a cessé de me répéter cette phrase, toujours la même...
« Prend le temps d'aller respirer le parfum des fleurs, Bonhomme. ».
Chaque fois qu'il disait ces mots là, il me tapotait doucement l'épaule en me couvant d'un regard tendre, presque compatissant.

Nous étions le jour et la nuit, l'aube et le crépuscule.
Lui, si grand et athlétique, et tellement sûr de lui.
Moi... chétif, dégingandé, les bras ballants et le regard fuyant... Toujours perdu dans mes pensées, la tête ailleurs, loin, si loin du monde.

Je me souviens...
Ces après-midi, j'avais 8 ans et lui 12.
Depuis la fenêtre, je l'observais.
Entouré par une bande de gamins du coin, debout sur l'enchevêtrement de pylônes des anciennes lignes à haute tension qui jonchaient à présent effondrés les champs alentours , il monopolisait toute l'attention, charismatique.
J'admirais son flegme, son aisance, cette facilité avec laquelle il se liait aux autres... Il n'avait peur de rien, ni de personne.
J'en étais incapable. En avais-je seulement envie?
Ma mère disait de moi que j'étais l'enfant de la Lune, et qu'un jour, peut-être, cette matrice reviendrait me prendre, moi qui ne la quittait jamais, en pensées...

J'aimais laisser mon esprit vagabonder au-delà de ces paysages lunaires et apocalyptiques que dessinait mon quotidien, imaginer les contrées d'antan, telles que nos ancêtres avaient pu les connaître, les fouler.
Alors pour leur rendre vie, je noircissais des pages et des pages, j'inventais des mondes verdoyants, emplis de senteurs et de nuances.
Ils étaient pour moi plus réels que celui dans lequel je grandissais, la seule lumière à l'horizon, quand tout le reste me laissait froid.
Pour moi, tout cela ne pouvait pas être que mythes et légendes d'un autre temps, et ces ancêtres dont on nous rabâchait les oreilles n'étaient sûrement pas humains. Quelque sorte de fées, d'elfes ou de korrigans, dont on contait les merveilles depuis la nuit des temps, mais certainement pas ces gens...ces autres.

Et les années passaient ainsi.
Et mon frère avait grandi.
Il rentrait à la nuit tombée, m'ébouriffant les cheveux avant de se jeter dans un fauteuil, un doux sourire aux lèvres.
« Alors Bonhomme, toujours pas sorti respirer le parfum des fleurs?! ».

Je ne comprenais pas, mais je ne disais mot.
Quelles fleurs? Quelle verdure? Il n'existait plus rien de tel, du moins, ici bas...
Les adultes parlaient entre eux des gens d'au dessus, par ci par là des ouïs-dire racontaient qu'il existait encore un savoir ésotérique que seuls possédaient quelques puissants, et que ceux ci cultiveraient en secret de rares, mais splendides et inimaginables jardins.
Était-ce possible?
J'aurai donné n'importe quoi pour les voir, contempler ces beautés élégiaques et respirer leurs fragrances... Mais non, il ne pouvait rien exister de tel.



« Moi je n'ai vu qu'une planète désolante

Paysages lunaires et chaleur suffocante

Et tous mourir par la soif ou la faim

Comme tombent les mouches...

Jusqu'à c'qu'il n'y ait plus rien... ».

(Les Cowboys Fringants)



***




Une nuit de plus à arpenter ce semblant de campagne, cette zone nue et désolée où seuls les cieux arborent encore de vagues couleurs.

Lorsque j'étais enfant, ma mère me lisait chaque soir quelques passages glanés ça et là au cœur de vieux ouvrages qu'elle tenait de ses parents, qui eux-même en avaient hérité des leurs, depuis des générations, conservés comme d'inestimables trésors.
Je me souviens...
Les mots s'envolaient d'eux-même et venaient créer pour moi les images d'un autre temps, d'un autre monde, un univers dont le ciel offrait parfois aux chanceux d'un instant, la magnificence d'une aurore boréale...
Depuis, chaque nuit à errer sous ces cieux dévorés de vapeurs toxiques dont les couleurs irisées n'en sont que les émanations, il me prend à rêver que l'univers offre au chanceux que je suis le spectacle miraculeux d'un de ces phénomènes.
Pourtant... Il n'en est rien.

« Plus rien...

Plus rien... ».


Avant Elle.


Je m'assois sur un tas de gravats, au centre d'un vague terrain sur lequel souffrent encore de vivre quelques rares herbes folles , et sur ce calepin qui jamais ne me quitte, je griffonne un à un chaque mot qui passe, s'attarde en mes pensées.
Mon regard parcourt, une fois de plus, le panorama nauséeux qui s'étend devant moi, au sol rocailleux jonché de déchets métalliques d'où s'élèvent des structures gigantesques et déformées toutes de verre et d'acier où s'entassent ces autres.
Ça et là, l'on voit briller les lueurs électriques , sans âme, des ces tours surpeuplées, et j'imagine tous ces êtres qui vivotent autour, vides, aseptiques, comme de vulgaires insectes venant se cogner encore et encore à la chaleur d'une lumière nue.
Cette Terre et son peuple meurent chaque jour un peu plus d'un incurable cancer, je les vois, sales et livides, dévorés petit bout par petit bout, rongés par la maladie, le désespoir et la cruauté qu'ils s'infligent à eux-même.
Je ne suis pas d'ici...
J'écris.


***



Ai-je existé en cet ancien monde?
Serait-il possible que j'ai connu ces temps immémoriaux, ces terres d'il fut un jour, leur destruction?
C'est ainsi, peut-être, que j'aurai perdu mon humanité, moi que rien ni personne n'atteint , seulement les rêves...
J'ai toujours eu cette sensation de n'exister que dans une sorte de mémoire fantomatique, ces restes éthérés d'un ailleurs vilipendé qu'il me fallait, coûte que coûte, retranscrire, encore et encore, page après page, nuit après nuit.
En cette Terre qui n'est plus qu'un cloaque au parfum de mort, que reste t-il à perpétuer sinon l'imaginaire magnifié d'une vie passée?
Seule cette quête me fait tenir le cap, cela et rien d'autre, peut-être...

Sinon Elle.



***




Elle...

Une nuit semblable aux autres.
J'arpentais les entrailles de la ville, ses enchevêtrements métalliques, insensible aux innombrables bourdonnements qui résonnaient contre ces parois glacées et sans âme, immunisé aux puanteurs gangrénées de ce calvaire gargantuesque, Errant invisible au cœur d'un monde putréfié.
J'allais, immuable, m'asseoir sur mon trône de gravats auprès de ces quelques herbes, chaque nuit un peu plus moribondes, mon carnet aux pages aussi fanées qu'elles à la main.
Et je la vis... Assise là, au lieu de moi, le regard perdu, tournée vers ses propres lueurs.

Elle semblait échappée d'un rêve, d'une fantaisie, d'une chimère...
Jamais encore je n'avais senti mon cœur s'emballer ainsi, ou se figer, je ne sais trop, à la vue d'un autre...
Ils étaient pour moi tous identiques, insipides, indignes d'intérêt.

Pas Elle.

Elle avait ce je ne sais quoi, qui, en un instant, avait éveillé des sensations jusqu'alors inconnues, comme si le sang dans mes veines s'était soudainement mis à bouillonner, et circuler, en moi.
Sans m'en apercevoir, je m'étais figé dans mon élan, comme si le temps avait tout à coup décidé d'arrêter de tourner, et telle une statue de sel, je me brisais en mille poussières lorsqu'elle posa les yeux sur moi.
Pourtant, tel un automate, lentement, je me mis en marche, comme mu par son propre vouloir, douce marionnettiste, et j'avançais vers elle, pas à pas.
Je m'assis à ses côtés, sans mot dire, et alors, elle sourit.
Un sourire en coin, plein d'une douceur naturelle qu'elle n'esquissait que pour elle-même.

C'était fou.
Elle avait le même sourire que Lui...

Nous ne parlions pas.
Elle vagabondait en pensées, j'écrivais comme jamais, presque comme si ma main pouvait transcrire ses mots à elle, des mots sans sens, des sons étranges qui serrent le cœur, ceux qu'elles laissaient voler au creux de son esprit.
Assis en tailleur, je sentais sa jambe reposer contre la mienne, sa chaleur et son calme s'insinuer en moi, son parfum flotter autour de nous. Intimité créée d'un rien.
Mon cœur connaissait ces fragrances, sans pourtant les avoir jamais respirées. Senteurs boisées, fleuries, capiteuses, venant déposer sur ma langue un goût d'ailleurs.

Elle était la beauté élégiaque, mystérieuse, d'une aurore boréale.

Je ne sais combien d'éons passèrent ainsi, au creux de quelques minutes, une illusion d'éternité, un mirage...

Elle et Moi, Loin, si Loin du monde...

Lentement, elle se leva.
Aérienne, elle se tourna vers moi, son merveilleux sourire peint sur ses lèvres moirées et j'entendis alors pour la première fois le bruissement d'une rivière lorsqu'elle parla enfin.
« Je t'observe depuis longtemps déjà. Chaque nuit, face à ma fenêtre, je te regarde écrire, et de mon violon s'envolent des notes insoupçonnées...
Tu es différent. Tu m'inspires. ».
Ce chant cristallin se tut avec elle...
Elle fit un pas, se retourna encore, ses yeux fouillaient les miens :

« Rosa.

C'est mon nom. ».

Je ne lui dis jamais le mien.



***



Mes nuits sont devenues brûlantes, agitées.
Longtemps, je n'ai plus quitté mon étrange résidence aux barreaux froids et dorés que je m'étais inventés.
Je suis resté glacé face aux pages vides de mon vieux carnet.
Impuissant à tracer des mots qui ne voulaient plus rien dire sans Elle.

De ma radio j'entendais ces autres hurler à qui voulait l'entendre la fin de ce monde, ça et là, partout sur la Terre, une humanité moribonde « luttait contre des pandémies, décimée par millions par d'atroces maladies, quand les autres mourraient par la soif ou la faim comme tombent les mouches...Jusqu'à c'qu'il n'y ait plus rien... ». ( Les Cowboys Fringants )
Je pouvais presque sentir l'agitation, la terreur, le désespoir qui perçaient leurs voix, pourtant, le visage simiesque, grimaçant de la Mort qui frappait le monde à grands coups de faux et semblait planer au-dessus de la moindre étincelle de vie ne pouvait m'atteindre.
C'était celui de Rosa qui venait me hanter.

Seulement Elle.

Pourquoi n'allais-je plus baguenauder du côté de ces herbes mortes?
J'avais si peur de l'avoir imaginée, et qu'au retour, elle aussi n'ait été qu'un rêve éthéré venu me hanter...
Elle était seule pensée en mon esprit, j'entendais le son grinçant, lancinant d'un violon aux notes fugaces me déchirer l'âme et lacérer mes chairs...

Et si?

Je me levais d'un bond, une nuit pareille aux autres.
J'envoyais valser mes peurs et mon immobilisme.
Je zigzaguais au long des ruelles, mu par une force sans nom j'écartais les monts de métaux et les tours de glace en pensée pour ne fixer qu'un horizon : le tertre aux herbes trépassées, Rosa, assise là.
J'arrivais haletant, mais mon trône de poussière gisait vacant, sans nulle Reine...
Je m'assis à l'écart, sentant pour la première fois un feu salé mouiller mes paumes et noyer mon visage.

Quelques notes volèrent jusqu'à moi...

Fou, exalté, j'essuyais d'un geste ces précieuses larmes, et suivais le chemin musical jusqu'à lever les yeux.
Là, face à la fenêtre, Rosa jouait. La lueur d'une bougie vacillait, esquissant sur son visage des ombres et des lumières. Elle me sourit.
Mais son sourire semblait fané, pâle, comme mourant...
Elle me rejoint et s'assit près de moi.
Elle glissa sa main au creux de la mienne, ses doigts étaient froids.
Sa tête contre mon épaule, je tentais d'écrire.
Mais mes mots tanguaient, semblant ne pas vouloir s'encrer sur ces pages vierges alors que je la sentais trembler, fragile.
Je jetais au loin mon vieux carnet, les feuillets s'envolaient éparpillés parmi la brume et la poussière...
J'enserrais sa taille de mes bras, sa minuscule taille.

Je ne sais combien de temps nous sommes restés ainsi, enlacés.
J'aurai voulu retenir chaque seconde, accrochés pour jamais à ce coin d'astral, cet espace-temps.
Le brouillard nous entourait, se resserrant contre nous tel un manteau spectral.
Contre moi, Rosa s'évaporait peu à peu, se recroquevillant, s'amenuisant, son parfum se dissipant, envolé, au gré du vent.

Jusqu'à disparaître.


« Au fond l'intelligence qu'on nous avait donné, n'aura été qu'un beau cadeau empoisonné... ».
(Les Cowboys Fringants)



Durant des siècles, les hommes, ces autres, auront usé le monde de leur cupidité. Bafouée, blessée, dévorée enfin, Dame Nature aura craché sur l'univers son cancer Humain...
J'ai senti la Terre s'éteindre au plus profond de moi, mourir longuement, douloureusement, dans un râle grinçant comme les cordes d'un violon désaccordé.



***



J'ai arpenté l'univers, des jours, des nuits durant.
Sortant des sentiers battus, loin, si loin du monde, au-delà des tours glacées, des calvaires de métal.
Plus rien ne vit, nulle part. Seulement la poussière, la terre écartelée, les arbres morts , durs comme la roche.
Mon corps aura résisté, encore et encore, tandis que mon âme est morte, éteinte, sans Elle pour faire pleuvoir en moi les gouttelettes acides de l'émotion.
Il n'aura existé qu'un instant, ce monde d'antan, d'avec ses collines verdoyantes et ses sous-bois aux senteurs capiteuses, le chant de ses rivières, son aurore boréale.
Il aura eu un nom, pourtant : Rosa.

« Prend le temps d'aller respirer le parfum des fleurs, Bonhomme. ».

Si seulement j'avais compris.



***


« Il ne reste que quelques minutes à la vie

Tout au plus quelques heures, je sens que je faiblis

Je ne peux plus marcher, j'ai peine à respirer...

Adieu l'Humanité ».


( Les Cowboys Fringants )



Sous mes pas, je sens la terre se craqueler...
Si le vide creuse sous nos pieds, pourquoi ne pas apprécier la chute?

Mon corps tombe, dégringole, sombre et tourbillonne, lentement, lentement, au gré du temps...

« Adieu l'Humanité ».



Sur le sol, gît un homme chétif, dégingandé, brisé, le regard fuyant vers un ciel dont l'opacité n'a d'égal que celle de ses yeux, éteints.
Il ne le sait pas, mais sous sa main, recroquevillée, pousse une petite fleur sauvage...




Fin.








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