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 Celtika - Robert HOLDSTOCK

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Kaho

Kaho


Masculin Nombre de messages : 87
Age : 31
Passion : Lecture, un poil -mais petit- d'écriture, musique, jeu de rôle
Coup De Coeur Livresques : Tolkien et Robert Holdstock...
Préférences Littéraires : Fantastique et classiques. Très peu de policier et haine envers les romans d'amour...
Date d'inscription : 04/06/2009

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MessageSujet: Celtika - Robert HOLDSTOCK   Celtika - Robert HOLDSTOCK Icon_minitimeVen 19 Fév - 2:32


Robert Holdstock – Celtika


Celtika - Robert HOLDSTOCK Livres-celtika-279


Qui est Robert Holdstock?


Né le 2 août 1948 et mort la nuit du 29 novembre 2009 d’une infection parasitaire, cet écrivain anglais a toujours vécu dans le Kent. Il suit des études de zoologie, avant de se consacrer entièrement à la littérature. En 1976 paraît son premier roman, Eye of the Blind, bien qu’il ait publié plusieurs nouvelles dans des recueils, magazines et autres par le passé. Au cours des 33 années durant lesquelles il écrivit, sa bibliographie devint très riche. Il visita tous les genres, de la science-fiction (Le vent du Temps) à la novellisation de films (par exemple, La forêt d’émeraude). Il est principalement connu, en France, pour son cycle La forêt des Mythagos. Ce cycle est le parfait exemple du genre qui sera défini comme sien : la narration a pour objet une forêt (dans presque tous ses romans, les forêts occupent une place importante), et on y retrouve de très nombreuses références mythologiques, le tout entremêlé dans un scénario d’une grande complexité. Outre ce cycle, il est aussi connu des francophones pour son Codex-Merlin (dont je traiterai), et pour son roman La Chair et l’Ombre.


Le Codex-Merlin


Le Codex-Merlin est une trilogie, composée des livres Celtika (2001), Le Graal de fer (2002) ainsi que Les Royaumes brisés (2007). Les liens sont ceux des couvertures (édition des prés aux clercs) des autres tomes, les dates celles de leur parution ; leurs traductions -étant naturellement écrits en anglais, bien que Holdstock parlât couramment plusieurs langues dont le français- sont quant à elles de Thierry Arson, que ce soit pour le Pré aux Clercs ou Folio SF, et datent respectivement de 2003, 2004 et 2007. Bien qu’il s’agisse d’une trilogie, chaque tome peut aisément être lu séparément : dans le premier, l’action se passe principalement en Grèce et en Alba (ce qui deviendra l’Angleterre), dans le second presque exclusivement en Alba, et dans le dernier tome, en Alba toujours, ainsi qu’en Crète. Et tous pour beaucoup dans l'esprit de Merlin...


Celtika : présentation

Vous l’aurez compris : le personnage clé de ce roman n’est autre que Merlin, qui en est aussi le narrateur (point de vue d’ailleurs fort intéressant, parfaitement maîtrisé et souvent surprenant). Mais pas le Merlin auquel nous sommes habitués… Ici, ‘Merlin’ n’est d’ailleurs qu’un surnom. Il s’agit bel et bien de celui qui vivra au côté d’Arthur -du moins tel que l’envisage Holdstock-, mais des années, un millénaire presque, avant que cette rencontre n’ait eu lieu. Nous sommes plus exactement aux environs du 4ème siècle avant Jésus-Christ… Sept siècles encore plus tôt, période correspondant à l’introduction du roman, Merlin était un Argonaute au côté du célèbre Jason, second personnage clé de ce roman. Et oui, cela malgré les sept cents ans d’écart entre les deux périodes : il ne faut pas négliger l’influence intemporelle de tels héros.


Le récit commence, outre l’introduction, aux bords d’un lac gelé, en plein hiver polaire. Qu’y fait donc notre Merlin ? D’ailleurs, ce n’est pas la seule anomalie en lui : il s’agit ici d’un jeune Merlin, usant de la magie gravée en ses os avec parcimonie, afin de préserver sa jeunesse, ne vieillissant qu’en faisant usage de ses dons. Aux bords de ce lac, nous rencontrons aussi Urtha, seigneur celte à la destinée étrange, ainsi que de nombreux autres protagonistes, tous issus de cultures différentes, parfois même d’époques différentes… Nombreux sont, selon les termes employés par Merlin, des légendes vivantes ou à venir. Parmi eux, les morts côtoient les fils de dieux aussi bien que les druides obscurs… Ainsi, nous découvrons tout l’art de ce livre : confronter les mondes, et trouver le lien là où il est ténu. Holdstock n’est pas, avec Celtika, à son coup d’essai en la matière…


Avis personnel

Ah, Robert Holdstock ! Je ne sais par où commencer l’éloge -car il s’agit bien d’une éloge- que se doit d’être toute critique de ce chef-d’œuvre… Cet auteur m’aura fait rêver, que je lise, relise, ou lise à nouveau n’importe lequel de ses livres. Sa mort récente m’a aussi terriblement attristé, car il était pour moi le plus grand auteur de fantastique contemporain… Je pense, et je n’en démordrai pas, qu’il a influencé de façon définitive le style bien particulier qu’est celui de la mythologie revisitée et romancée. Mais trêve de subjectivité…

Lorsqu’on lit Celtika, on ne peut discerner ce qui est, historiquement ou mythologiquement, vrai de ce qui est le pur fruit de son imagination. Combien de fois au cours de sa lecture, et à vrai dire encore davantage lors de celle des tomes suivant du Codex, n’ai-je pas sauté sur mes livres d’histoires, doutant de ce que je lisais ? Mais ça, c’était au début de ma lecture…

Doucement, je me suis rendu compte qu’il ne fallait essayer d’en faire la part : la mythologie, il se l’approprie, la rend neuve. C’est là qu’on aborde le pus grand défaut, pensé-je, de ce roman : la difficulté -toute relative selon les personnes : j’en ai connues qui ont tout de suite plongé- de rentrer dans l’univers de l’auteur. Bon dieu, mais quelle densité on peut y rencontrer ! Cette richesse, tous ces détails qui tiennent plus du conte (de la mythologie !) que du roman ; ce qui fait que ce livre est une vraie mine, de celles qui vont exploiter ce qu’il y a au plus profond de votre ressenti… Eh bien, cette richesse, en fait trop. Je le dis net : si on est habitué à un style analytique, précis et réaliste (tel celui de nombre d’auteurs classiques) ; ou encore habitués à des romans de style fantastique stéréotype, je pense que l’on aura du mal à s’imprégner de l’univers d’Holdstock. Je crois que j’ai fait découvrir ce livre à 6 ou 7 personnes, bien deux en ont abandonné la lecture, sans être du genre à arrêter un livre…

Mais outre ce petit défaut pour s’immerger en début de roman, cette densité dans le récit ne peut être que positive. Tout semble naturel, tellement simple… Lorsque l’on a fini de lire ce livre, on est étonné de la réalité. En grand lecteur de Holdstock, je peux dire qu’il m’a grandement influencé… Mais pour un lecteur moins convaincu, cette lecture ne peut cependant le laisser indifférent. On se surprend, au fil des pages, à ne plus pouvoir se détacher des protagonistes du roman : lorsque nous sommes obligés de nous détourner de notre lecture, on est envahis par les questions qu’induit inévitablement le scénario de Celtika. C’est à ce moment que l’on peut réellement appréhender toute la complexité de la trame que nous offre Holdstock : en effet, lors de notre lecture, nous sommes trop baignés par le monde qui nous est décrit (les allées puantes de Taurovinda, forteresse d’Urtha, les villes aux maisons bigarrées de Grèce, ou encore les forêts antiques du monde des morts et de ceux à naître : tout nous émerveille !), les émotions que nous découvrons par le biais des personnages en tous points riches, le style même, empruntant beaucoup au conte et propice au rêve ; que pour nous pencher sur les problèmes que nous posent l’histoire qui nous est offerte.

Si vraiment nous cherchons les moindres défauts du récit, en voilà bien un : nous sommes relativement peu acteurs du récit. Peut-être est-ce dû au style de Holdstock, que certains considèrent comme trop riche, péchant d’excès, voire pataud pour ses détracteurs… Il est vrai que lire ce roman demande une extrême concentration, oblige à relire de nombreuses phrase (exercice que j’apprécie énormément, je ne dois pas être le seul), certaines explications sont dures à saisir… On perçoit à quel point l’auteur est à son aise dans son récit, les explications manquant quelquefois. On est bien loin de la complexe description de chaque évènement, décortiqué et analysé, propre à certains auteurs… Mais il s’agit sans aucun doute de ce que j’aime le plus chez cet auteur, si ce n’est son univers unique et haut en couleurs : son style suggère beaucoup. Énormément de choses… Et dit fort peu. Souvent, nous passons d’une scène à l’autre, des blancs laissés dans la narration par Merlin, parfois il souhaite omettre certaines choses, semble-t-il. Nous ne savons ni trop, ni trop peu, notre imagination est constamment sollicitée… À vrai dire, jamais lecture ne m’a procuré de sentiment aussi grisant que celle de cette plume légère et sûre d’elle !

Il y a un dernier point que je me dois d’aborder avant de clore cette déjà trop longue analyse (je m’emporte) : le traitement que Holdstock y fait de récits mythologiques. Dans Celtika, comme je l’ai déjà dit, de nombreuses mythologies s’entremêlent, se croisent, s’hybrident. Mais aussi, quelquefois, il nous fait l’honneur d’un récit réel qu’il a juste retraité. Comme ceux parmi vous qui s’intéressent aux divers récits mythologiques le savent, ce n’est pas tant le corps, l’objet du récit qui importe, mais ses détails. Certes, on a une bien belle histoire, mais ce qui porte à réfléchir, ce sont bien les détails, la richesse, le seul point du récit où l’on peut donner un quelconque sens au conte. Holdtsock est avant tout un conteur, déjà tout jeune, il aimait écrire et réciter ses propres contes… Il nous livre donc, par son livre, de nombreuses réflexions, parfois inattendues. Ce qu’il y a de génial, c’est que nous n’en saisissons tout le sens que grâce au contexte du roman dans lequel ils sont enchâssés, grâce à cette immersion dont j’ai tant parlé. C’est par ces multiples petites retouches, car à première vue on voit un récit existant, qu’il imprime sa marque dans tous ces contes.

Je finirai par la fin : ce roman a une fin, bien que fondamentalement heureuse, assez mélancolique. Je n’en dirai pas plus, mais elle est en tous les cas ouverte, et pour ceux qui résisteront à la tentation de dévorer de suite le deuxième tome, offre matière à maintes réflexions, dont bon nombre peuvent nous être amenées par le questionnement intérieur (clairement et proprement mené par l’auteur) de notre toujours jeune Merlin…
Merci à ceux qui ont eu le courage de lire mon long monologue, et j’espère ardemment vous avoir apporté quelque chose.

Kaho







Je ne possède pas ici mon livre, cependant, j’ai un extrait ne dévoilant rien de l’intrigue mais représentant plutôt bien l’entièreté du récit en tête : si certains le veulent, je peux vous le recopier vendredi
soir.

À bientôt !
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Kaho

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MessageSujet: Re: Celtika - Robert HOLDSTOCK   Celtika - Robert HOLDSTOCK Icon_minitimeLun 1 Mar - 2:04

Comme me l'a gentiment proposé Tizzounette, j'ajoute l'extrait que j'avais mentionné ce soir... Très franchement, malgré que j'aie dû l'amputer de quelques courts extraits afin de faire vite, je le trouve réellement beau... C'est un beau 'récit dans le récit', comme ceux dont j'ai parlé dans la fiche. J'essaierai de terminer les morceaux de textes que j'ai laissés vides demain, pour ceux qui veulent le lire Wink J'ai décidé de ne pas le commenter, pour vous laisser dans votre trop brève lecture en paix... Même si les petits descriptifs (comme je le disais, ce sont els détails qui comptent) que j'ai enlevés écornent la profondeur du récit.





On avait construit le poste de guet juste sur la crête d’une colline, et il offrait une vue dégagée sur la vaste vallée, connue sous le nom de Promenade des Loups, qui menait au sud vers les plaines fertiles de Macédoine, une nation guerrière avec laquelle il faudrait combattre, en dépit du coup que lui avait porté la mort toujours pleurée de sons roi : Alessandros, connu aussi comme Iksander, Alexandre…
Tant de noms en tant de langues désignaient cet homme au os fins, doté d’un regard d’aigle capable de trouver les confins de ce monde. Avec quel pouvoir de persuasion son ombre avait-elle dû marchander, pour que le Temps lui accorde une telle part de légende !

Le bâtiment était niché au centre d’un boqueteau de jeunes cèdres et de pins, et avec ses murs peints en noir il n’était presque pas repérable depuis la vallée en contrebas. Même des yeux avertis de sa présence auraient eu du mal à le distinguer sous la ligne de crête boisée.

L’ombre des nuages glissait sur les collines, et l’homme qui vivait là vaquait en ses occupations en ce début d’été. Il se montrait prudent jusque dans son usage du feu, et ne cuisinait jamais après le crépuscule, et uniquement lorsque le vent emportait la fumée au sud, loin du danger potentiel. Vers le souvenir d’Alessandros !

[…]

Quatre fois par jour, telle l’ombre des nuages, il faisait le tour de la colline o il vivait, scrutait les vallées et le faîte des autres collines à la recherche de tout signe de danger, de tout indice qui révélerait une armée en marche, le grondement lointain et la brume de poussière d’une armée en marche.

[…]

Derrière la maison, dans leur cage, ses précieux pigeons étaient au calme. Il y avait assez de place pour en loger soixante. Il les envoyait au sud selon un rituel très particulier. […] Quatre fois par jour, il parcourait les pentes autour de son poste. Et chaque jour, il rédigeait le même message sur le même morceau de parchemin : « Tout est comme il doit être. »

La façon dont était libellé le message et la manière d’attacher le petit document à l’oiseau changeaient quotidiennement. C’était une précaution supplémentaire pour les hommes de l’avant-poste , à trois jours de cheval, là où les collines se dressaient dans la grande plaine.

Parce qu’il était méfiant par nature, il modifiait régulièrement le chemin emprunté et l’ordre des tâches, bien qu’en plus de cinquante années passées à ce poste, rien ne se fût produit qui l’aurait poussé à changer le contenu de ce message. Mais il faisait toujours halte devant l’urne de marbre dissimulée au plus profond d’un bosquet d’épineux et de pins, là où reposait celle qui avait été sa femme.

Ils aimaient danser ; sur la colline silencieux, ils dansaient en se remémorant des musiques ; et toujours, chaque matin et chaque soir, il prenait l’urne dans ses mains et dansait avec sa défunte épouse. Elle avait été heureuse ici, en dépit de l’isolement, et des difficultés d’approvisionnement, en particulier quand l’hiver macédonien se faisait rude. Au départ de leurs deux fils, elle avait pleuré. Et après n’avoir reàu aucune nouvelle d’eux durant un temps trop long, sa peine avait cristallisé une pierre qui lui écrasait le cœur. Il avait a abandonné la mémoire de ces deux jeunes garçons impétueux, même si deux petits boucliers en bronze poli reposaient aux côtés de l’urne, comme un gage d’espoir. Mais il n’avait jamais renoncé à celle de sa femme.

[…]

Et cet homme à la barbe blanche aurait pu vivre heureux jusqu’à s’éteindre selon le cycle de la nature, avant d’être posé dans une urne aux côtés de sa femme par les hommes plus au sud qu’il gardait, s’il n’avait eu un jour la triste idée de quitter l’abri de sa maison pour chasser un faucon.

Le rapace s’était posé sur la crête. Craignant pour ses faucons, le guetteur avait lancé deux pierres vers l’intrus. […] Ce fut la grande infortune de cet homme, par une journée venteuse, d’avoir voulu chasser un faucon et en agissant ainsi de m’avoir rencontré.



« Tout est… »

[…]

« … comme il doit être. »

Il signa la bande de parchemin, apposa la marque avec application puis leva les yeux de nouveau. À présent les oiseaux étaient trop silencieux. Il y avait peut-être bien un prédateur dans les parages, après tout.

Il prit sa fronde, il étira les lanières, caressa la sacoche, la chargea d’un galet rond et quitta son siège. Mais avant qu’il ait pu faire un pas vers la porte, celle-ci s’ouvrit lentement. La lumière de l’extérieur resta cependant occultée par la silhouette imposante d’un homme de grande taille, vêtu d’une longue cape, qui se courbait pour regarder dans la pièce. L’inconnu entra, un doigt barrant ses lèvres, et ferma la porte derrière lui.

Dans le dos du guetteur, les volets de la fenêtre grincèrent quand une main les repoussa. Un homme au teint hâlé passa la tête à l’intérieur en souriant.


- Bien le bonjour, dit-il dans le dialecte du vieil homme. Mon nom est Thesokorus. Je n’essaierais pas de me servir de cette fronde, si j’étais toi.

- Toutes mes excuses, dit l’autre intrus avec un accent curieux. Je manque à tous les usages. Je suis Bolgios, un des commandants d’une armée qui souhaite passer sans encombre. Et je te souhaite également le bonjour.

Et tous deux s’esclaffèrent. Le grand inconnu ôta son casque de fer, et gratta sa barbe qui était d’un rouge flamboyant. Ses yeux, dans un visage maculé de crasse, luisaient de l’éclat du jade. Sa cape était noire, probablement en peau d’ours, et des relents de sueur, de cheval et de fumée flottaient autour de lui.
L’homme aux yeux verts tenait dans une main trois cages où s’agitaient six volatiles très animés..

- Pour aujourd’hui, dit-il au guetter. Pour les messages.

Puis il souleva un pan de sa cape et révéla dix pigeons, le cou brisé, accrochés au revers du vêtement.
- Pour le dîner, ajouta-t-il avec un petit rire.

L’homme à la peau olivâtre se hissa par la fenêtre et vint prendre le message. Il le lut avec attention avant de donner son approbation par un hochement de tête.

- Tout est en effet comme il doit être. Envoie le message, je te prie.
- Qui êtes-vous ? demanda le guetteur.

Ses yeux étaient agrandis par la terreur, et ses mains, levées en un geste de protection devant lui, tremblaient.

- Nous sommes les amis de ce qui gît dans les profondeurs, à Delphes, dit l’autre. Mais des amis d’un genre spécial. Maintenant, attache le message et envoie-le.

Le guetteur obéit. L’oiseau s’élança, décrivit un cercle à la verticale de la colline, puis alla vers le sud. L’homme appelé Thesokorus l’observa par la fenêtre et lui envoya un baiser pour qu’il fasse diligence.

- Très bien. Et maintenant, rédige les cinq autres messages, exactement comme tu le ferais normalement, et attache-les aux oiseaux. Et précise quand ceux-ci devront être relâchés.

Le guetteur s’exécuta, et n’hésitait qu’un instant en regardant les pigeons dans leur cage. La trahison qu’il commettait lui serrait le cœur. Il leva les yeux, rencontra ceux du grand intrus d’un vert dur comme la pierre, et soupira. Peut-être avait-il renoncé à la ruse qu’il venait d’envisager. Il calligraphia lentement les messages, les marqua, puis les attacha à ses pigeons.

- Fort bien, dit l’aimable Thesokorus. Ces oiseaux vivront. Garde cela à l’esprit. Il y aura quelqu’un ici pour les envoyer.

[…]

- Je ne vous ai pas vus approcher, murmura le guetteur nerveusement, alors que Bolgios le dirigeait vers le bord de la pente. Comment ai-je pu vous rater ?
- Nous savions que tu surveillais la vallée. Nous avions envoyé un oiseau pour te repérer. Il nous a dit que tu lui avais lancé une pierre.
- Ce faucon ?
- Le faucon, oui. Nous avons pris nos précautions. Ca n’a pas été facile, mon ami. Regarde…
- Par Mercure ! gémit le vieillard. Comment ai-je pu ne pas voir cela ?

Il contemplait d’un air hébété tout le déploiement de cavaliers, soldats, femmes, chariots et bœufs, qui emplissait la vallée, de part et d’autres de la colline d’Artémia. C’était une foule énorme, une armée impatiente mais immobile, qui scrutait la colline, attendant le signal de reprendra la marche vers le défilé, vers l’océan. L’homme aux yeux verts leva haut une main, vers sa droite, et le sol frémit quand la horde s’ébranla en direction du sud.

[..]

- Tu l’aimais ?
- Beaucoup. Et je l’aime toujours. Nos deux fils sont partis au sud, pour la guerre. Je n’ai plus jamais eu de nouvelles d’eux. Il est dur de voir celle qu’on aime mourir de chagrin. Elle me manque beaucoup.
- Eh bien, dit l’étranger, c’est un amour qui mérite d’être respecté.

Quelques temps plus tard, le cœur du guetteur fut déposé avec révérence dans l’urne, sur les cendres, puis l’urne fut scellée de nouveau, avec le plus grand soin, et laissée en paix entre les deux boucliers de cuivre des fils disparus.
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