(Folio, 5,60€, 77 pages)«À partir du mois de septembre l'année dernière, je n'ai plus rien fait
d'autre qu'attendre un homme : qu'il me téléphone et qu'il vienne chez
moi. »
Annie Ernaux.
Lire Annie Ernaux, c'est accepter de s'enfoncer dans sa douleur.
La dépendance à l'être aimé (ici un homme marié) est poussée à son
paroxysme et le récit, froid et distant, nous donne envie de nous
éloigner de ce mal-être profond, de cette non-vie. La vie de la
narratrice est mise en apnée le temps de cette passion - elle parle
d'anesthésie - puis ensuite c'est de douleur puissante qu'il s'agit.
Pourquoi cette attente, pourquoi cette vie en suspens, cette
respiration interdite là où est le sentiment ? Il faut attendre la fin
du récit - car ce n'est assurément pas un roman - pour trouver une
explication à ce creux d'amour qui ne pourra pas être rempli. Une
explication mais pas l'explication.
Ce livre est bouleversant : quand on le lit, on croit aisément qu'elle
parle de nous, pauvres lecteurs. En gros, ce qu'on devient et ce qu'on
est capable de faire par amour pour une ombre. En lisant ce livre, on
se sent moins seule, moins engluée dans son histoire de cœur, on
comprend aussi que si la passion est destructrice, elle n'est est pas
moins indispensable à la complétude de notre existence. Celui qui n'a
jamais connu une passion, la vraie, celle qui ronge et qui envoûte, qui
détruit une partie de soi, celui-là, il n'a pas complètement vécu.
La justesse de ton, l’impression de sincérité qui s’en dégage (même si
toute autobiographie de par son caractère étroitement subjectif a
quelque chose de fictif) et la ré-flexion constante menée sur
l’écriture en rapport étroit avec l’existence donnent à cette œuvre un
caractère profondément percutant et précieux.
Passion simple, c'est tout simplement un livre de résurrection comme de destruction.