Roméo et Juliette au village Gottfried Keller
Résumé : National, Gottfried Keller l'est par les milieux et les moeurs qu'il dépeint, qui sont ceux de la Suisse bourgeoise, paysanne et libérale du milieu du siècle passé. Ses héros et ses héroïnes relèvent de la vision réaliste de l'écrivain : Des gens du commun en butte aux aspérités du quotidien. C'est le cas du Roméo paysan et de la Juliette de
Romeo und Julia auf dem Dorfe (1856, dans le cycle
Die Leute von Seldwyla), qui retrouvent dans la campagne de Zurich les affrontements et les haines qui marquèrent, dans un lointain passé,l e destin des inoubliables amants de Vérone immortalisés par Shakespeare. Gottfried Keller réussit à ne pas affadir l'illustre légende ; au contraire il la fait revivre de façon à la fois charmante et tragique dans un milieu totalement différent.
Mon avis : Comme vous l'aurez compris, ce livre narre, comme l'oeuvre de Shakespeare, une histoire d'amour impossible entre deux jeunes gens, mais cette fois-ci dans un milieu rural et plutôt pauvre. Si j'ai tendance à ne pas aimer les histoires d'amour en général, j'ai toutefois assez apprécié ce livre, qui dépeint également d'une façon très réaliste la vie au village au XIXème siècle. On constate tout d'abord que l'appât du gain a tendance à abêtir les gens et que la recherche du profit peut brouiller des amis de longue date, indépendamment des liens qui les unissaient autrefois. J'ai trouvé ce sujet très intéressant, et on est vite pris de compassion pour les deux jeunes amis (qui ne s'appellent pas Roméo et Juliette mais Sali et Vrenni) qui ne comprennent guère la nouvelle situation qui règne au sein de leurs familles respectives et qui doivent tout à coup enterrer leur amitié.
En ce qui concerne l'histoire d'amour en elle-même, je l'ai trouvée bien trop rapide. Sali et Vrenni, qui paraissent vraiment jeunes, naïfs et inexpérimentés, se retrouvent après des années de séparation et tombent subitement amoureux l'un de l'autre alors qu'ils ne se connaissent pour ainsi dire plus, ce qui est peu crédible. En outre, j'ai trouvé leurs dialogues parfois un peu niais, et même si leur histoire est bien évidemment très triste, je n'ai pas véritablement approuvé leur décision finale. J'aurais en effet préféré qu'ils suivent le conseil du "
violoneux", qui m'a paru être le seul personnage sensé de cette histoire, se fichant bien de sa situation sociale et du regard des gens.
Quoi qu'il en soit, c'est tout de même un roman agréable à lire et qui se veut plutôt touchant. Parce que contrairement aux héros de Shakespeare, on a ici l'impression que la misère renforce les liens qui unissent Sali et Vrenni. Car en dehors de leurs peines de coeur, on est également beaucoup touché par leur détresse et leur condition difficile causée par leurs idiots de pères.
Citations - La plupart des hommes sont disposés ou prêts à commettre l'injustice qui se trouve dans l'air à leur portée, pour peu qu'elle se mette sous leur nez ; mais que l'un d'entre eux la commette, les autres sont tout heureux de ne pas s'y être engagés et se félicitent que la tentation ne les ait pas atteints ; ils font alors du délinquant une unité de malice leur permettant de mesurer leur propre vertu, le traitent, avec une crainte intimidée, comme une sorte de bouc émissaire chargé par les dieux de détourner sur lui le mal, cependant que les profits qu'il a tirés de son méfait leur font encore venir l'eau à la bouche.
- "Nous leur avons échappé [....], mais comment échapperons-nous à nous-mêmes?"