[center]Deux quadragénaires désabusés se rencontrent à l'occasion d'un match de tennis au cours duquel chacun des joueurs décèle chez son adversaire des traits de caractères comme autant de faiblesses. A son issue et autour de plus d'un verre, Thierry Blin et Nicolas Gredzinski se retournent sur leur passé et envisagent leur avenir : ni la vie trop prévisible d'encadreur de quartier, ni celle de commercial sans ambition ne les satisfont. Ils se promettent de se retrouver dans trois ans exactement, après être devenu 'quelqu'un d'autre'. A travers ces nouvelles ambitions, l'une consciente et radicale, qui passe par le changement d'identité et la chirurgie esthétique, l'autre, plus lente et insidieuse, qui emprunte le chemin de l'alcool, leurs véritables personnalités vont se révéler et s'exalter.
Je viens de perdre un commentaire argumenté que je venais d'écrire, je n'ai pas le coeur à tout recommencer.
Quelqu'un d'autre est un ouvrage qui pose une question identitaire : quel autre pourrait-on incarner si nous en avions la possibilité ? Détrompez-vous : ce livre évoque la vocation de l'homme à s'astreindre à ce qu'il est, à ce qu'il croît être, et surtout aux dangers qu'il ne désire prendre.
Dans cet ouvrage, l'auteur met en exerbe deux facettes de l'homme moderne : sa capacité à s'autodétruire, au travers du personnage de Nicolas Grezdinsky (à vos souhaits), et sa capacité à évoluer, au travers de Thierry Blin. Nicolas est, à mon goût, le personnage le plus attachant. Effectivement, tout au long du récit, il a cette tendance dévastatrice qui l'astreint dans l'ivresse de la boisson et dans un brouillard qui réduit sa vie à l'objectif unique de se faire plaisir par la multiplicité des saveurs et leur effet jouissif. Il goûte au courage de savourer sa vie telle qu'il la décide (ou plutôt telle que le liquide la décide), et à l'exaspération sans cesse plus croissante des remarques et reproches de son entourage. Ce personnage fait tout pour évoluer selon ses propres envies et ne se préoccupe pas des lois de la société.
Thierry Blin est l'archétype de l'homme qui se construit par lui même : on ne peut parler d'évolution mais de bouleversement total de sa personnalité. Effectivement, relaté dans la spontanéité et dans une prise de conscience presque simultannée, ce personnage change toutes les facettes de l'homme qu'il représentait, pour s'abandonner dans un nouveau personnage, pour s'ériger tel qu'il le conçoit. Ce personnage ne subit pas les revers des choix de sa propre existence, il pense à tout et manipule son entourage. C'est un personnage très froid, qui est presque poussé par la promesse de tenir ce pari fou décidé au bord d'un verre sur un comptoir de bar.
Ce livre pose ainsi de multiples questions. La réponse première qui m'est venue à l'esprit en pensant aux conséquences de devenir "quelqu'un d'autre", est le risque de se perdre dans sa nouvelle identité, et de ne plus parvenir à se retrouver soi-même. Changer est bien plus compliqué que cela puisse paraître : Nicolas est le symbole d'un changement dans le temps particulière néfaste. A la fin du livre, les deux personnages ne se reconnaissent même pas : le changement est une perte de son identité, mais c'est avant tout un trait que l'on fait sur notre passé.
Quelqu'un d'autre de Tonino Benacquista donne à réfléchir, et est passionnant à partir d'un certain moment : l'évolution est lente et s'établit par petits détails pourtant significatifs lorsque l'on se concentre sur l'ensemble.